Trois ans après l’apparition du Covid-19, les impacts de la pandémie sur les systèmes de santé continuent de s’aggraver sans que des réponses adéquates n’aient été réellement apportées. C’est, en substance, ce que dénonce le rapport Recover to Rebuild: Investing in the Nursing Workforce for Health System Effectiveness* du Conseil international des infirmières (CII). La crise sanitaire et les mesures d’urgence qui ont été mises en place pour y répondre (allongement des horaires de travail, mobilisation des étudiants, redéploiement des professionnels dans les services…) ont provoqué épuisement et troubles psychiques chez les infirmiers, professionnels de première ligne, allant jusqu’au burn-out, note-t-il, s’appuyant sur une centaine d’études réalisées à travers le monde.
La prévalence de la dépression et celle de l’anxiété s’élèvent ainsi à 22% et 29% respectivement chez ces personnels, assorties de stress post-traumatique pour ceux ayant vécu la crise sanitaire au plus près. « Les infirmières ont été en première ligne, et souvent sous le feu nourri, et cela a fait des ravages », déplore Pamela Cipriano, la présidente du CII. Et si la pénurie frappe tous les secteurs du soin, santé mentale, soins primaires, soins intensifs, santé publique et prise en charge des maladies chroniques sont particulièrement touchés.
Face à la pénurie, un manque de réponses adaptées
En cause : un manque de préparation et de moyens humains et financiers qui ne date pas d’hier. Le rapport pointe en effet un déficit d’investissement dans la profession, que ce soit au niveau des effectifs, de la formation, des conditions de travail ou encore de la rémunération. Conséquence, nombreux sont ceux qui quittent le métier, et la pénurie s’observe partout : 20 à 40% des infirmiers, selon les pays, indiquent leur intention de ne plus exercer. De plus, il manquerait plus de 30 millions d’infirmiers et de sages-femmes dans le monde. Avec des conséquences réelles sur la prise en charge, entre dégradation de la sécurité et de la qualité des soins, et pertes de chance pour les patients.
L’augmentation rapide du nombre de grèves constitue une alerte indiquant que de nombreux systèmes de santé sont toujours en crise.
Or, poursuit le rapport, face à ce constat, quand solutions il y a, celles-ci s’avèrent peu voire pas adaptées. Preuve en est la multiplication des mouvements de grève et de protestations partout dans le monde, de la Grande-Bretagne à la Nouvelle-Zélande, en passant par le Maroc et l’Argentine. « L’augmentation rapide du nombre de grèves » ces 12 derniers mois « constitue une alerte supplémentaire » indiquant « que de nombreux systèmes de santé sont toujours en crise », et que leur reconstruction ne repose pas sur des fondations solides, explique-t-il.
L’inaction des pouvoirs publics a un coût. Financier, déjà, puisque la dépense pour remplacer un infirmier équivaut en moyenne à 1,3 fois son salaire pour les établissements. Mais aussi et surtout humain. Dans les pays les plus développés, où la population vieillit et où les besoins en santé s’alourdissent, la pénurie infirmière pourrait rapidement représenter un réel problème de santé publique. Et ce d’autant plus qu’elle va s’aggraver par le départ en retraite des infirmiers les plus âgés, dont le manque d’attractivité de la profession pourrait limiter le remplacement. Pourtant, affirme Pamela Cipriano, « les infirmières et infirmiers sont les professionnels qui peuvent nous sortir de ce marasme postpandémique qui touche les soins de santé. »
Protéger et soutenir les infirmiers doit être un enjeu clé de tout système de santé qui espère se relever de la pandémie.
La participation des infirmiers à la reconstruction jugée cruciale
Aussi le CII défend-il l’élaboration de politiques publiques plus proactives et efficaces dans l’amélioration de leurs conditions de travail et leur protection. « Protéger et soutenir les infirmiers doit être un enjeu clé de tout système de santé qui espère se relever de la pandémie », affirme-t-il. Alors que l’absence de mesures adaptées tend à réclamer aux infirmiers d’être « résilients », l’organisation appelle à des réponses globales et systémiques, aussi bien au niveau national qu’international. A commencer par la mise en place d’indicateurs communs à chaque pays, qui faciliteront le recueil de données et permettront de mieux identifier les causes du mal-être infirmier. « Chaque système de santé et chaque État doit développer une meilleure compréhension de l’origine des problèmes qui touchent les professionnels de santé en conduisant des analyses d’impact régulières au sein de la profession infirmière ».
S’il s’agit d’un préalable à la définition de politiques publiques pertinentes, le CII met toutefois l’accent sur la nécessité de répondre à 4 priorités au niveau national : atteindre un niveau d’effectifs adéquat pour répondre aux besoins, fixer des conditions de travail attractives, accompagner et maintenir la santé et le bien-être des professionnels, et assurer la participation des infirmiers à la reconstruction du système de santé.
Le rapport enjoint également les pays à réaliser des efforts de planification des effectifs infirmiers, notamment en étendant les capacités de formation, en analysant les perspectives de l’emploi infirmier (profils de compétences, projection du nombre des futurs professionnels…), ou en optimisant les forces de travail par le déploiement et/ou le renforcement de la pratique avancée, à même de fortifier l’attractivité du métier.
Pas de reconstruction sans coopération internationale
Mais l’action se doit aussi d’être coordonnée à l’international. Car la pénurie d’infirmiers étant mondial, le CII craint notamment une de ses potentielles conséquences : la tentation des pays à hauts revenus à puiser dans les viviers de professionnels des pays à moyens et faibles revenus et donc peu à même d’offrir des conditions favorables à l’exercice. Or une telle démarche est inadmissible pour l’organisation, car elle aura entre autres résultats de fragiliser encore plus des systèmes de santé déjà très vulnérables. « L’augmentation continue du recrutement d’infirmiers à l’international pourrait épuiser certains pays de leurs compétences infirmières, déjà rares », prévient-elle. D’où l’absolue nécessité d’un « effort coordonné » des États pour « développer un plan à 10 ans visant à maintenir des effectifs infirmiers mondiaux » adaptés et s’appuyant sur des données et des indicateurs communs.
Le CII recommande ainsi en premier lieu de mettre à jour le State of the world’s nursing (SOWN, rapport réalisé par l’Organisation mondiale de la santé qui présente une photographie de la profession infirmière au niveau mondial) réalisé en 2020 afin de quantifier et évaluer les dégâts provoqués par la crise sanitaire. Et du point de vue de la planification, il attend un engagement à assurer l’accès de tous les infirmiers aux programmes de vaccination, à mieux surveiller les flux de migration pour maintenir un approvisionnement éthique en professionnels dans chaque pays ou encore à investir dans la pérennisation des effectifs infirmiers dans les petits États, les États à revenu faible et les États fragiles.
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