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Article rédigé et publié par Enzym Formation le 18 Novembre 2023.
Pourquoi cet article sur le signalement de la maltraitance et des sévices sexuels par les infirmiers libéraux ?
Un soir, baignée dans la lueur hypnotique de mon écran, je me suis aventurée sur YouTube, explorant les méandres numériques à la recherche d'une distraction. C'est alors que je suis tombée, presque par accident, sur une série d'émissions déroutantes et déchirantes de « ça commence aujourd'hui », plongeant dans les abysses sombres de l'inceste et de la maltraitance infantile.
Certes, cette émission est réputée pour créer du buzz, Mais au fond, derrière chaque récit, réside une motivation puissante, une raison impérieuse qui pousse ces âmes à partager leur douleur. On saisit rapidement que la première force motrice est le désir de témoigner, de susciter une prise de conscience chez les téléspectateurs, d'insinuer qu'il pourrait y avoir un appel à l'action au niveau sociétal.
Sur le plateau, c'est un ballet émotionnel où la présentatrice et les victimes entrent en scène, tandis qu'un avocat et une psychologue éclairent de leur expertise les réactions humaines et les recours juridiques envisageables.
Ainsi, ce n'est pas seulement le spectacle des confessions bouleversantes qui m'a interpellé, mais la nécessité de répondre à des questions concrètes. Pas de sensationnel ici, seulement des considérations pratiques sur la manière dont, en tant que professionnel de la santé, nous pouvons être des acteurs responsables dans la détection et la gestion de situations délicates.
En tant que gardien des maillons fragiles de la société, des individus vulnérables et dépendants, quelles sont les lignes directrices qui guident notre devoir d'attention ? Si le doute s'insinue concernant une possible maltraitance ou d’abus sexuel, quel chemin sinueux devrions-nous emprunter en tant que professionnels de la santé ?
Pour préparer ce sujet, je me suis tournée vers mes pairs, les infirmiers libéraux, obtenant des réponses variées. Certains, animés par une ferveur instinctive, confient « si je chope un mec en train de tabasser sa femme ou de tripoter sa petite fille, mon premier reflexe c’est avant tout de lui casser la gueule » et d’autres plus timorés « j’appelle le médecin traitant ».
Afin d'éviter que les plus impétueux ne se retrouvent derrière les barreaux et pour permettre aux plus prudents d'optimiser leur efficacité, j'ai entrepris pour vous quelques recherches sur la marche à suivre.
Car mes amis nous voilà devant un épais dilemme où les frontières de l'éthique se brouillent. À qui, dans cette danse délicate entre le devoir et la discrétion, devrions-nous confier nos inquiétudes les plus sombres ? Le secret professionnel, cette forteresse indestructible, peut-il être sacrifié au nom de la protection des plus vulnérables ?
Partons de notre code de déontologie infirmier
Secret professionnel Article R4312-5
« Le secret professionnel s’impose à tout infirmier, dans les conditions établies par la loi. L’infirmier instruit les personnes qui l’assistent de leurs obligations en matière de secret professionnel. »
Explication : « L’infirmier, quel que soit son mode d’exercice, est tenu de taire l’ensemble des informations venues à sa connaissance dès lors qu’il a pris en charge un patient. Parmi ces informations figurent, outre les informations relatives à l’état de santé du patient, toute information le concernant ayant trait à sa vie privée par exemple. Il ne s’agit cependant pas seulement des informations confiées par le patient. Il peut également s’agir d’informations entendues, comprises voire surprises par l’infirmier. La source de l’information n’est pas nécessairement le patient lui-même, il peut s’agir d’éléments donnés par la famille du patient au cours des soins par exemple. »
Cependant l’article L 1110-4 alinéa 2 du code de la santé publique prévoit « excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel …»
L’article L1110-4 précédemment cité, vous donne une porte de sortie dans ces cas exceptionnels de maltraitance ou de sévices sexuels.
C’est d’ailleurs prévu dans notre code de déontologie qui reste prudent sans être très précis :
Personne victime de sévices Article R4312-18
« Lorsque l’infirmier discerne qu’une personne auprès de laquelle il est amené à intervenir est victime de sévices, de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles, il doit mettre en œuvre, en faisant preuve de prudence et de circonspection, les moyens les plus adéquats pour la protéger. S’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie ou de son état physique ou psychique, l’infirmier doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives.»
Puis passons au code pénal
Heureusement le code pénal tranche beaucoup plus précisément.
2 cas de figures quant aux conditions de dénonciation :
- Personne majeure sans incapacité : L’infirmier doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure (attention aux rétractations) ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République (encore faut-il prouver que vous avez donné cette information)
- Un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique : l’accord n’est pas nécessaire
En effet, l’article 226-14 du code pénal prévoit que l’obligation de respecter le secret professionnel n’est pas applicable :
« 1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou a une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire ;
3° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple relevant de l’article 132-80 du présent code, lorsqu’il estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le médecin ou le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime majeure ; en cas d’impossibilité d’obtenir cet accord, il doit l’informer du signalement fait au procureur de la République ; »
« Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi ».
Dans ces différentes hypothèses, l’infirmier peut divulguer les informations dont il a connaissance.
Attention toutefois à une possibilité d’accusation de diffamation en retour de votre dénonciation : «Vous devez agir de bonne foi». ( voilà pourquoi casser la gueule au bourreau ou se confronter à lui en première intention n’est pas la bonne solution ).
Sur la dénonciation des violences au sein du couple
La loi n°2020-936 du 30 juillet 2020, permet à l’infirmier de signaler au Procureur de la République des violences exercées au sein d’un couple, c’est-à-dire des violences commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas. Cela concerne également les violences commises par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, en application de l’article 132-80 du code pénal. Ce texte ne créé pas une obligation de signalement mais une dérogation à la règle du secret professionnel.
Pour que le signalement soit possible, l'infirmier doit estimer qu'elles mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que la victime n'est pas en mesure de se protéger parce qu'elle est sous l'emprise de l'auteur des violences et que cette emprise crée une contrainte morale sur la victime. L’infirmier doit essayer d’obtenir l’accord de la victime avant de faire le signalement auprès du Procureur de la République. Si après discussion avec la victime l’infirmier ne parvient pas à obtenir son accord, le signalement reste possible mais il faudra informer la victime que le signalement a été fait.
La réunion de deux conditions est donc nécessaire : un danger immédiat et l’emprise de l’auteur des violences sur la victime. L’infirmier apprécie lui-même si ces deux conditions sont réunies. Il doit avoir une connaissance de la situation, notamment de la fréquence des actes de violence ou de leur importance. L’existence de menaces pourrait également être prise en compte. Quant à l’emprise, elle peut notamment désigner une situation de dépendance de la victime vis-à-vis de l’auteur, quelle qu’en soit le forme (dépendance financière, risque d’éviction du domicile, etc…). Il peut s’agir de tout élément qui empêcherait la victime de signaler les violences dont elle est l’objet.
Sur le sujet, la Haute Autorité de Santé a élaboré et récemment mis à jour une recommandation intitulée Repérage des femmes victimes de violences au sein du couple.
En cas de violences conjugales, vous devez obtenir l’accord avant de faire le signalement (attention aux rétractations), si vous n’y parvenez pas, il faut en informer la victime. (Encore faut-il prouver que vous avez donné cette information).
Vous devez tout mettre en œuvre pour obtenir cet accord, et consigner chacune de vos actions, dans le cas où on vous accuserait par la suite de ne pas avoir alerté.
2 conditions nécessaires avant toute dénonciation pour violences conjugales :
- L’infirmier doit estimer qu’elles mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat
- La victime n’est pas en mesure de se protéger parce qu’elle est sous l’emprise de l’auteur des violences et que cette emprise créé une contrainte morale sur la victime
Que risque l’infirmier à alerter ou ne pas alerter ?
- Ne pas alerter : quelles en sont les conséquences ?
Pour un adulte : La non-dénonciation d'une situation de maltraitance dont on a connaissance peut être punie de 3 ans de prison et de 45 000 € d'amende.
Pour un mineur : Lorsque le défaut d'information concerne une situation de maltraitance commise sur un mineur de quinze ans, les peines sont portées à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende.
- Alerte mensongère : quelles en sont les conséquences ?
Le fait d'alerter volontairement les autorités sur des faits que l'on sait inexacts relève de la dénonciation calomnieuse. Ce délit est puni par une peine de prison pouvant aller jusqu'à 5 ans et une amende de 45 000 €.
Attention :
Si vous devez vous appuyer sur votre dossier de soins pour étayer votre dénonciation vous ne pouvez pas fournir l’ensemble du dossier de soins à l’autorité judiciaire, il faudra trier les informations strictement nécessaires.
Si la victime est votre patient, prenez soin de consigner toute constatation au fil des semaines sur le dossier de soins infirmiers. (Le dossier de soins numérique, horodaté et ineffaçable est apprécié).
Si la victime n’est pas votre patient, rien ne vous empêche de consigner vos observations datées pour ne rien oublier au moment du signalement.
Depuis 2015 plus de clarté dans les signalements de situations de maltraitances ou de sévices sexuels par l’ensemble des professionnels de santé
LOI n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé.
Beaucoup d’infirmiers pensent que c’est au médecin de prendre les dispositions nécessaires pour dénoncer des actes de maltraitance ou de sévices sexuels. Or la loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 tend à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé : Après le mot : « médecin », sont insérés les mots : « ou à tout autre professionnel de santé ».
Après les mots : « procureur de la République », sont insérés les mots : « ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, » ;
Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. »
En bref, depuis 2015, quelle que soit sa profession, tout professionnel de santé est habilité à faire en son nom une dénonciation d’actes de maltraitance ou de sévices sexuels en suivant la procédure dictée dans le code pénal.
Vous pouvez vous associer à d’autres professionnels de santé témoins des maltraitances et en lien avec la victime pour appuyer votre signalement, mais il est aujourd’hui inutile de s’en référer au médecin traitant s’il n’a pas été témoin des sévices.
A qui signaler les maltraitances ou sévices sexuels ?
Au procureur de la République ou à la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être. L’ANNUAIRE JUSTICE vous permet de trouver les points de contacts sur toute la France.
Vous avez aussi la possibilité d’appeler les numéros suivants :
- Violences conjugales 3919
- Enfants maltraités 119
- Dès le 1er trimestre 2024 la mise en service d'un numéro "119-pro" pour aider les professionnels à gérer des soupçons ou révélations.
- Maltraitances des personnes âgées et des personnes handicapées 3977
Alors voilà, si cet article sert à éclairer ne serait-ce qu’une personne parmi vous et, par une succession de faits, à être le déclencheur salvateur qui protège un enfant ou soulage une personne en détresse, je ne peux m'empêcher de penser à la pertinence parfois insoupçonnée de nos déambulations sur les réseaux sociaux !
En France, à peine 5 % des signalements proviennent du secteur médical ». Pourtant, « signaler n’est pas juger, c’est un acte médical ».
Vous pourrez approfondir le sujet dans la formation Responsabilité professionnelle de l'infirmier libéral
Sources
Code de déontologie des infirmiers https://www.ordre-infirmiers.fr/deontologie/publication-du-code-de-deontologie.html
Secret professionnel Code de la santé publique https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/Fiches_juridiques/52337_ONI_FICHE_A4_D%C3%A93%20Secret%20Professionnel_web.pdf
Article R4312-18 du code de la santé publique : Personnes victimes de sévices https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033496783
Article 1110-4 du code de la santé publique https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043895798/
Fiche HAS repérage des femmes victimes de violences au sein du couple https://www.has-sante.fr/jcms/p_3104867/fr/reperage-des-femmes-victimes-de-violences-au-sein-du-couple
Article 226-14 du code pénal https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044394223
Loi n°202-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales Art 12 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042176652
Loi n°2015-1402 du 5 novembre 2015 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031424650
Annuaires des centres de justice http://www.annuaires.justice.gouv.fr/
Article 226-10 du code pénal https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000034009375/2016-12-11
Article 434-3 du code pénal https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006418606/2002-01-01/