L’opposition forte, parfois même virulente, des médecins n’y aura rien fait. Dans la nuit du mardi 14 février, les Sénateurs se sont prononcés pour le projet de loi sur l’amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé (PPL Rist). Le texte, défendu par la députée Renaissance et rapporteure de la commission des affaires sociales, Stéphanie Rist, avait déjà été adopté le 19 janvier 2023 à l’Assemblée nationale. L’objectif : faciliter l’accès aux soins en modifiant les champs de compétences de certains professionnels de santé, à commencer par les infirmiers en pratique avancée (IPA). De quoi « débloquer le texte de 2018 », selon les mots de Patrick Chamboredon, le président de l’Ordre national des infirmiers (ONI), en référence aux atermoiements lors de l’instauration du statut d’IPA. Amendé par la commission sénatoriale, le texte va toutefois bien au-delà de l’ouverture de l’accès direct à ces professionnels de santé.
Pour les IPA, « c’est une énorme avancée »
Le 1er article de la PPL Rist présenté au Sénat autorise « l’accès direct » aux IPA en ville, à l’hôpital et en établissement médico-social, à condition qu’il s’applique « au sein d’une structure d’exercice coordonné », afin de « préserver le rôle pivot du médecin » (à noter que cette disposition concerne également les masseurs-kiné et les orthophonistes). « C’est une énorme avancée », se réjouit Julie Devictor, présidente du Conseil National Professionnel IPA, « parce qu’en soins primaires, notamment, on ne parvenait pas à se développer. »
Il faut réinsérer l’exercice en CPTS, c’est le lieu de l’interprofessionnalité et un facteur de lien essentiel pour que les professionnels travaillent ensemble.
Pour autant, elle émet quelques « réserves », en particulier sur le choix de borner cet accès direct aux structures d’exercice coordonné, avec l’exclusion des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). « Telles qu’elles sont définies par le Sénat, ces structures ne représentent que 20% des visites médicales ; ça limite le champ des possibilités. » « Le retrait des CPTS va en effet constituer un frein important pour de nombreux IPA libéraux », regrette également Ludivine Videloup, la présidente de l'ANFIPA, rappelant la nécessité pour ces professionnels de travailler en exercice coordonné. Les CPTS ayant été incluses dans le projet de loi validé par l’Assemblée nationale, la commission mixte paritaire (CMP) réunissant députés et sénateurs pourrait néanmoins valider leur réintégration dans le texte final. « Il faut réinsérer l’exercice en CPTS », abonde Patrick Chamboredon, le président de l’Ordre infirmier (ONI). « C’est le lieu de l’interprofessionnalité et un facteur de lien essentiel pour que les professionnels travaillent ensemble. »
Va enfin se poser la question de la pertinence de l'accès direct pour l'ensemble des mentions des IPA. « Est-ce que le premier recours sera attribué à toutes les IPA, c’est aussi la question », s'interroge ainsi le président de l'Ordre. Il existe déjà des protocoles pour certains de ces professionnels, à commencer par ceux exerçant en urgences, relève Ludivine Videloup, afin qu'ils puissent recevoir les patients en première intention. « L'évolution du texte de loi va faciliter leur exercice », note-t-elle. Mais, de manière générale, « il va falloir réfléchir de manière collégiale avec les CNP médicaux pour évaluer la pertinence de l'accès direct pour chacune des mentions, en particulier en CHU.» Un accès direct en établissement pourrait par exemple être envisagé lorsque les délais pour consulter un spécialiste sont particulièrement longs. « Ce texte va générer beaucoup de questions, mais aussi de vraies réflexions pratico-pratiques.»
Plus de distinction entre IPA « spécialisés » et IPA « praticiens »
L’article permet également aux IPA « de primo-prescrire des produits ou prestations soumis à prescription médicale obligatoire ». Fin 2021 déjà, l’Assemblée nationale avait autorisé l’ouverture d’une expérimentation sur 3 ans de la primo-prescription. En janvier 2023, une liste de prescriptions possibles a ensuite été présentée au Haut conseil des professions paramédicales (HCPP). Or la loi Rist pourrait entraîner la suppression de cette expérimentation, confie Julie Devictor. « En revanche, tout le travail fait en amont servira de base solide à l’écriture des décrets. » Cette disposition est accueillie plus que favorablement par les IPA, jusque-là limités par un cadre réglementaire jugé très contraint. « On est embêté au quotidien par des prescriptions qu’on ne peut pas réaliser nous-mêmes. Alors que parfois, il s’agit juste de primo-prescrire du doliprane. Même pour les médecins, ça n’a pas de sens », donne-t-elle en exemple.
La commission sénatoriale a toutefois supprimé la distinction entre IPA « spécialisés » et IPA « praticiens », que l’Assemblée nationale avait intégrée dans son texte. Une décision saluée par Julie Devictor. En termes de lisibilité de l’offre de soins, elle représenterait selon elle « un gros risque de complexifier quelque chose qui n’est déjà pas bien reconnu » et de limiter les libertés d’exercice. « On a besoin de décloisonner au maximum notre système de santé et cloisonner l’exercice de la PA infirmière ne va pas dans le bon sens », tranche-t-elle. Un constat que partage Ludivine Videloup, qui souligne : « Notre profession n'exerce que depuis 3 ans en France. Ancrons-la déjà dans notre territoire », avant de multiplier les modes d'exercice.
Le texte valorise des compétences propres aux infirmiers, qu’ils ont acquises de manière empirique, qu’ils mettent en œuvre tous les jours mais qui n’étaient jusque-là pas reconnues.
La reconnaissance de plusieurs compétences infirmières
Le texte ne se limite toutefois pas aux IPA. L’article 1er bis autorise les infirmiers en soins généraux à prendre en charge « la prévention et le traitement de plaies comprenant la prescription d’examens complémentaires et de produits de santé » en exercice coordonné et conditionné par le suivi d’une « formation dédiée aux plaies et à la cicatrisation ». La Haute autorité de santé aura à rendre un avis sur la liste des prescriptions envisagées. Pour autant, pour Patrick Chamboredon, le texte vient surtout reconnaître une compétence que l’ensemble des infirmiers mobilise déjà au quotidien. « Les plaies et cicatrisations représentent 1 million de pansements par semaine », précise-t-il. « Le texte valorise des compétences qui leur sont propres, qu’ils ont acquises de manière empirique, qu’ils mettent en œuvre tous les jours mais qui n’étaient jusque-là pas reconnues. »
Un principe de responsabilité collective à la permanence des soins
L’article 4, lui, vise « à introduire un principe de responsabilité collective des professionnels et établissements de santé à la permanence des soins » en l’élargissant aux infirmiers et aux sages-femmes, dans le respect de leurs champs de compétences. Une transformation que le PLFSS 2023 incluait déjà lors de son passage à l’Assemblée nationale. « C’est une très bonne chose », réagit le président de l’Ordre, à la fois pour la profession et les patients. « Pour les patients, le développement de la permanence des soins est essentiel. Le texte permettra à plus de monde d’être pris en charge. » Cette participation à la permanence est néanmoins conditionnée à la réécriture du décret qui encadre l’exercice infirmier et que l’Ordre souhaiterait plus rapide, souligne-t-il. « Comment va-t-elle se décliner par la suite ? Pas dans le cadre d’un décret d’actes. » À noter également que cette participation ne sera pas obligatoire mais que des mesures incitatives seront mises en place pour convaincre les professionnels de s’y engager.
Si les lignes commencent à bouger pour les IPA, elles vont commencer à bouger pour les infirmières en soins généraux et pour les spécialités.
Des avancées pour les infirmiers…
Au-delà des transformations, déjà de taille, qu’il impulse, le texte « concourt à la montée en compétences de la profession infirmière », réagissait l’Ordre mercredi 15 février dans un communiqué. Et pour cause, l’intégration dans la permanence des soins, à titre d’exemple, fait rentrer « les infirmiers dans une nouvelle partie du Code de la santé publique. C’est aussi une reconnaissance de la profession et de son impact dans le domaine », se félicite Patrick Chamboredon. « On est en train de refonder réellement le système de santé, avec de nouveaux acteurs qui vont gagner en latitude. » Les évolutions autour de la PA, quant à elles, auront un impact sur d’autres avancées très attendues, à commencer par l’inscription dans son cadre de l’exercice des infirmiers anesthésistes (IADE) et puériculteurs (IPDE), toujours en souffrance malgré les différents rapports qui en font la défense. « Si les lignes commencent à bouger pour les IPA, elles vont commencer à bouger pour les infirmières en soins généraux et pour les spécialités », ajoute Julie Devictor. Ces montées en compétences, espère-t-elle, contribueront à rendre « la profession infirmière plus attractive » et à offrir de nouvelles possibilités de carrière aux professionnels.
… mais aussi pour les patients
Alors que 6 millions de Français n’ont pas de médecin traitant, le texte représente surtout une avancée majeure pour les patients. « À 1 700, nous n’allons pas révolutionner le système de santé, mais cela nous donne des perspectives pour une plus grande intervention des infirmiers dans les champs de la prévention, du dépistage, de la promotion de la santé », avance Julie Devictor. « Nous allons pouvoir intervenir auprès des populations non-malades en amont des maladies chroniques. Et je pense que ça va vraiment dans le bon sens pour la santé de la population. » Même satisfecit du côté de Patrick Chamboredon, qui rappelle que, en tant que régulateur, l’Ordre a aussi pour mission de protéger les patients. « J’ai besoin que les textes évoluent, car c’est aussi une façon d’améliorer la prise en charge des patients. 6 millions de Français sont confrontés à des difficultés d’accès aux soins, il faut y aller ! » Reste donc désormais à attendre les conclusions de la Commission mixte parlementaire, qui permettra ensuite de déboucher sur l’écriture des décrets actant ces nouvelles dispositions. « On est parti pour des mois de travail », conclut Julie Devictor.
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